L’article que vous allez lire est loin d’être une biographie exhaustive de l’éminent footballeur haïtien Joseph Obas. Cet espace est trop restreint pour narrer son riche palmarès. Il a tant fait pour rehausser le prestige du sport roi à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Ceci dit, les lignes qui vont suivre visent uniquement à lui rendre un tribut appuyé après son voyage vers l’univers d’outre-tombe.
Début & Palmarès
Né au Cap-Haïtien le 25 mai 1940 dans le quartier populaire de “La Fossette”, comme il aimait toujours à le souligner, Obas est issu des entrailles d’une mère limonadienne connue sous le surnom de “Cil”. Les capois contemporains alliaient son sobriquet “Zo” (pour Joseph) à celui de sa mère “Cil” pour l’appeler affectueusement “Zocil” (i.e. “Zo”, le fils de “Cil”).
Celui-ci fit ses premières armes dans l’arène du foot dans les années 50 au sein du club local Association Sportive Capoise (ASC) où il s’était distingué comme un fin technicien et un buteur patenté. En 1962, le monde sportif de Port-au-Prince alla lier connaissance avec lui au cours d’un match entre le Violette Athletic Club et le “All Cap” au Parc St. Victor de cette même ville. Lors, Zocil fit voir le bleu aux joueurs de la capitale d’avec ses percées spectaculaires, sa musculature et surtout en scorant un but qui aura scellé la défaite du Vieux Tigre.
Son art de combiner la technique et la force pour étriller l’adversaire avait piqué la curiosité des administrateurs du Violette désireux de l’intégrer au sein de leur équipe. Ainsi, il effectua le périple vers Port-au-Prince pour finaliser son transfert. Aux dires de l’intéressé, les dirigeants violettistes lui ont offert un accueil morne et froid. Ce qui lui avait considérablement déplu! Sur ces entrefaites, le Racing Club Haïtien (le rival #1 du Violette) espionnait les faits et gestes du capois en vue de le leurrer jusqu’à sa passation éventuelle à la formation bleue et jaune. Selon ce qu’Obas m’a personnellement confié, les agents du Racing s’étaient arrangés pour qu’il eȗt un tête-à-tête avec le puissant macoute Roger Lafontant, l’un des hommes forts du Racing. Marché fait! Lafontant a reçu le nordiste avec chaleur et accolades; et, dans sa verve coutumière, il loua les prouesses de la star. Avant de se retirer, Lafontant délia les cordons de sa bourse et glissa quelques gourdes au prodige du nord. Celui-là insista que cette somme, qu’il a déclaré être modique, aurait servi de pourboire vu les circonstances hâtives et imprévisibles dans lesquelles les deux hommes s’étaient croisés. Le sbire duvalérien s’était intelligemment excusé du montant accordé à l’athlète sous prétexte de n’avoir pas eu vent de sa présence à la capitale quelques instants auparavant, tout en l’assurant qu’il serait monnayé davantage à l’avenir.
Au fond, Lafontant feignit tout cela. Ce fut sa parfaite mise en scène pour arracher ce poulain du Violette dont il vint de damer le pion. Il n’y eut rien de spontané. Tout a été savamment concocté. Lafontant a réussi. L’argent accordé à Obas fut considérable: $40.00 US ( 200 gourdes), une valeur qui donnait à piaffer de joie en 1962-1963 à un jeune homme agé à peine de 22-23 ans. Le footballeur a réagi avec exubérance en palpant les billets. Vite, il appela sa vénérable mère Cil au Cap pour lui dire son bonheur. En fin de compte, Zocil rejoignit les rangs du Racing qui, à l’époque, faisait moisson des cracks du football d’origine provinciale_ histoire pour le duvaliérisme d’afficher un certain noirisme, une philosophie politique dont il s’était affublé. (Rappelons qu’en ce temps-là le Violette fut associé au mulâtrisme à tort ou à raison). Assisté d’un autre capois raciniste, Ti Claude Nemorin (considéré comme le meilleur ailier haïtien de tous les temps), Obas participa à sa première séance d’entrainement avec ses nouveaux co-équipiers.
Au cours de son premier derby Racing-Violette, Zocil marqua en deux occasions dont l’une de la tête à la suite d’un corner exécuté par Germain Champagne, ce qui permit au “Vieux Lion” de gagner la bataille des fauves. Au terme du match, selon le buteur, les dirigeants du Vieux Tigre se lançaient des reproches réciproques d’avoir laissé filer un joyau de son acabit. Trop tard! Avec l’arrivée de ce nouvel attaquant/demi offensif, le Violette allait connaître une période de vache maigre, car le Racing avait raflé le titre de champion de la Coupe Pradel en trois années de suite, soit en 1963, 1964 et 1965. Il faut dire que les Racinistes atteignirent l’excelsior dans les années 60 puisqu’ils remportèrent la Coupe des Clubs Champions de la CONCACAF en 1963 contre le club mexicain “Chivas de Guadalajara” par forfait (les deux équipes n’ont jamais pu se mesurer pour des raisons peu claires).
Personnage Mythique?
Athlète accompli d’une polyvalence peu commune, Zocil jouissait d’une bonne presse grâce à ses tirs percutants, notamment. En vérité, il provoquait la frayeur chez les défenseurs qui redoutaient ses dribles, sa vélocité et son portrait d’haltérophile. Lorsqu’il débordait à l’aile, faire la course contre lui équivalait à gravir les marches du calvaire. Aussi jetait-il l’émoi dans les cœurs des gardiens de but lorsqu’il s’approchait d’une distance de 25 mètres de leurs cages, car le jeune homme prenait la bonne ou mauvaise habitude de faire trembler les filets comme de minces feuilles soumises aux caprices d’un vent insolent. Si morbide était la crainte généralisée de ses frappes terribles qu’une certaine tradition orale était penchée à attribuer sa réussite sportive à une quelconque entité surnaturelle, une “lwa”. Il s’ébrutait qu’il avait les “ pye monte”, i.e qu’une divinité vodouesque lui aurait accordé des atouts dans les jambes pour multiplier des buts à son compteur.
Cependant, l’anecdote du footballeur fit évaporer ces mythes et tabous comme une fumée. Voici comment l’homme a justifié la force de ses frappes: pendant les vacances (estivales surtout), il se rendait habituellement à Limonade, ville natale de sa mère. Là, plus particulièrement à “Bodmèr” (Bord de Mer), il s’entrainait âprement en tapant le cuir avec les pieds nus auxquels il attachait du plomb. Dans pareil état aussi, il a entrepris des séances de jogging sur le sable, lequel a la vertu de ralentir la vitesse des athlètes. Ces exercices ardus ont fini par tonifier ses muscles. En conséquence, lorsqu’il plaçait un tir sans le poids gênant du plomb, cela avait l’effet d’un missile de croisière. De plus, quand_ au cours des matchs_ il courait sur la terre ferme sans le ralentissement de la force de traction du sable, sa rapidité allait en grandissant, et sa course de s’apparenter au vol éclair d’un oiseau de proie.
Zocil ne constituait pas une bête redoutable en Haïti seulement. Sa réputation de “trouble-fête” était idem au-delà de nos mers. Je cite en exemple ce face-à-face Haiti-Guatémala disputé à Ciudad de Guatemala le 23 septembre 1969 dans le cadre de la phase éliminatoire pour le mondial de 1970. Au début, les Centroaméricains menèrent à la marque par 1-0. Ils étaient déterminés à tirer leurs marrons du feu pour éviter leur élimination de la compétition car, en match aller, Haïti avait été victorieuse par 2-0 à Port-au-Prince le 12 août 1968. Faisant flèche de tout bois, ils brutalisaient le onze national tandis que l’arbitre central et les juges de touche affichèrent une complaisance face aux antijeux de l’équipe hôte. Des gestes d’intimidation fusaient de tous les coins du stade. Zocil pour sa part souffrait amèrement: du sang ruisselait sur ses jambes suite aux blessures causées par des tacles appuyés dont il était l’objet de la part de l’adversaire. Malgré les revers, il ne perdit point courage. Á l’insu du sélectionneur national, le joueur a changé sa position d’attaquant pour évoluer comme demi à l’effet de pouvoir mieux éluder l’ossature de la défense guatémaltèque. La tactique s’avérait payante!
Ayant beaucoup plus d’espace, notre bonhomme plaça un boulet à partir de la moitié du terrain (près de 45 mètres) que le portier ne put arrêter et qui termina sa course dans les filets. Résultat final: 1-1. Le président du Guatémala, Enrique Peralta Azurdia, qui assista à la rencontre lui a collé l’épithète de “diablo” (diable). Mr. Peralta eut peut-être raison. De l’avis de tous, le ballon qui partit du pied droit de l’international haïtien a déchiré l’air dans sa trajectoire; on eut dit un éclair zébrant le ciel orageux du Bon-Dieu. Commentant l’événement sportif, la presse locale a titré avec une plume trempée dans l’encre de douleur: “Mort Á Guatémala”. Mais, qui a eu le toupet de teinter les visages guatémaltèques de couleurs d’enterrement? Qui a osé transformer un stade bruyant en un sépulcre blanchi, en un sépulcre si silencieux que même les bourdonnements d’une mouche auraient perturbé son calme? Etait-ce “diablo” inventé par le président Peralta ou le “zonbi-mò” (fantôme) que le réel merveilleux haïtien croyait habiter dans les jambes de Zocil? Non. Réponse: ce furent les durs entrainements au bord de la mer qui avaient saturé ses poumons de grand air, la course sur le sable et le mépris du poids des plombs qui avaient ceint sa tête de tant de gloire en Haïti et qui, du même coup, avaient plongé le peuple du Guatémala dans un serrement de cœur historique, inoubliable!
Comme on peut s’en rendre compte, les langues bienveillantes ou malveillantes en Haïti comme ailleurs faisaient balader Obas avec le surnaturel. Cela arrive toujours quand le génie d’un homme s’élève au-dessus de la compréhension limitée des autres hommes (pour ne pas dire le commun des mortels). Il devient facile de suivre la logique (erronée) d’un pan du public haïtien et du numéro un guatémaltèque d’alors consistant à caser le compatriote dans un monde métaphysique. D’ailleurs, n’est-il pas le propre des humains de patiner dans l’immatériel quand le matériel ne fournit pas la réponse voulue à leurs questionnements? Vraiment! Le talent extraordinaire du footballeur troublait l’entendement de plus d’un et faisait tiquer les fanatiques des équipes adverses. De là, un autre surnom: “le bombardier”.
Obas, L’humaniste
Après cet exploit sur le sol étranger, l’ex dirigeant haïtien François “Papa Doc” Duvalier proposa à Obas de le récompenser. Le président à vie accorda les coudées franches à notre “Zo” de faire une demande de son choix. D’une pureté de cœur ultra rare, l’homme n’a réclamé aucun don en nature ou en espèce. En fait, il implora l’ex dictateur d’user de ses bons offices pour élargir de prison l’un de ses amis capois qui croupissait dans sa geôle pour des motifs politiques. Finalement, l’ami fut libéré.
Meilleur Souvenir & Regret
Zocil a cueilli nombre de lauriers sur la planète sportive. Vrai! Cependant, il m’a avoué que l’expérience vécue avant et après une rencontre opposant le Racing à l’Aigle Noir demeurait la plus frappante de sa carrière. Un match lourd d’importance pour les deux clubs! Endeuillé après la mort d’un de ses enfants, l’athlète était embrasé par deux feux intérieurs: l’un lui ordonna de se caserner et de se réduire en peau de chagrin; l’autre aiguisa son orgueil et l’invita à aller disputer le match. Il opta pour le second choix, malgré cette mélancolie qui congelait son for intérieur. Coup de théâtre: la prestation hors pair d’Obas a coupé les ailes de l’Aigle dont les fans ont connu une fin de journée morose. L’Aigle du Bel-Air avait perdu de son bel air. Obas a scoré plus d’un goal pour donner la victoire au Racing. Á la fin de la partie, les supporters du Vieux Lion s’étaient constitués en un faisceau humain pour soulever et charrier le corps de la vedette salvatrice du State Sylvio Cator jusqu’à son domicile.
Pendant tout le parcours, des bras inlassables le hissaient au-dessus des têtes, ce qui le rendit aussi visible qu’une “koukouy” (luciole) valsant dans l’air quand toute l’atmosphère est plongée dans une obscurité épaisse. Chaque quartier versait sa petite populace. Et la foule grandissante en délire entonnait des chansons par elle composées au gré de la circonstance. Des hurlements, des compliments fusaient de partout. Pleuvaient aussi des applaudissements. On observait des attroupements ça-et-là, rien que pour voir, admirer, remercier ou satisfaire sa curiosité en regardant l’homme qui vint de se dresser une tente légendaire. L’enthousiasme a atteint son paroxysme. Ainsi Zocil eut–il bel et bien noyé son chagrin dans la liesse des fanatiques chauffés à blanc. Le deuil qui avait drapé son cœur était momentanément déchiré en lambeaux par l’exaltation des Racinistes savourant leur victoire sur la superbe formation de l’Aigle Noir. Autrement dit, pour citer Coriolan Ardouin, la performance sur le terrain de foot avait transformé l’existence du joueur d’un “vase de pleurs” à un “vase” de rires.
Autre point à signaler: pour notre ambassadeur sportif, le fait de n’avoir jamais participé à un mondial constituait un rêve volatilisé. Il a raté les coupes du monde de 1970 et de 1974. Tableau paradoxal: l’ex footballeur fut emporté par une crise cardiaque le samedi 21 juin 2014, alors qu’il regardait un match du mondial de cette même année opposant l’Argentine à l’Iran. Il habitait à New York pendant une trentaine d’années.
Goût, Tempérament & Esthétisme
En dehors du côté footballistique, j’ai eu le bonheur de connaître Obas sous d’autres angles. J’ai découvert en lui nombre de traits positifs. Ce fut un fin causeur, courtois qui déconnait facilement. Dépourvu de l’intellectualité d’un Maurice A. Sixto ou d’un Jean Claude “Koralen” Martino, il réunissait, cependant, toutes les qualités d’un excellent narrateur. J’ose l’affirmer sans tomber dans les panégyriques! Il racontait sa vie avec passion, couleurs, mimes et intonations qui lassaient ses interlocuteurs pantois à ses lèvres. Il possédait la maestria d’entretenir autrui avec ironie, sarcasme et fermeté.
Au cours de ses mille et une conversations, il offrait l’allure d’un acteur évoluant en dehors de la scène, en dehors d’un décor idéal. Ensuite, il avait un faible prononcé pour les tailleurs élégants, les parfums suaves et les bijoux (chaînes, bagues, bracelets). Cette attitude bon chic bon genre, disait-il, avait _dans sa jeunesse surtout_ soulevé l’admiration de la créature féminine avec qui il a connu bien des fresques amoureuses. Vêtu de costume, Obas portait rarement une cravate. Il se plaisait, au contraire, à se déboutonner la chemise au niveau de la poitrine pour exhiber non seulement ses chaînes et médailles d’or, mais aussi ses pectoraux qu’il croyait garder la silhouette athlétique de ses vingt ans, tout sexagénaire qu’il était. Pinces sans rire!
Zocil, reçois ces honneurs post-mortem!
New York, 1er février 2015
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Note.- Les informations relatées ici ont été fournies pour la plupart au cours d’une interview réalisée avec Obas par le journaliste Raymond Jean-Louis et votre serviteur. Á l’époque, on co-animait l’émission sportive “Sports Soleil” sur les ondes de la Radio Soleil d’Haïti à New York. D’autres informations ont été collectées quand Obas s’exprimait après la remise d’une plaquette de la part de Globosport vers les années 2004-2005. Enfin, à chaque activité sportive où la légende était présente, on s’était toujours arrangé pour lui arracher quelques historiettes, lesquelles nous avons partagées avec vous. Cet article revu et augmenté parut pour la première dans Performance Magazine. Remerciements à Gary Daniel pour la photo de J. Obas.
Réginal Souffrant
Anmwe
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