Philippe Vorbe sera intronisé au Temple de la renommée de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF), dans le cadre d’une réunion spéciale à Moscou, en prélude à la Coupe du monde 2018.
Ce sera probablement une façon pour la CONCACAF de saluer le centenaire de la doyenne des équipes de football de la Caraïbe, le Violette Athlétique Club de Port-au-Prince, dont Philippe fut l’un des membres les plus illustres. Elle offrira du même coup aux jeunes de la région un modèle remarquable.
Philippe a été mon condisciple au Petit Séminaire Collège Saint- Martial. Le passage au secondaire fut l’occasion de découvrir d’autres sports que le football qui régnait sans partage au primaire : basket-ball, volley-ball, athlétisme. Philippe montrait de bonnes aptitudes pour le lancer du javelot et le volley-ball.
Nous étions en classe de 4e quand un jour, il m’annonça qu’il allait désormais se consacrer uniquement au football, car il souhaitait devenir un joueur professionnel et participer à la Coupe du monde. J’ai pensé qu’il pouvait devenir footballeur professionnel, mais dans un autre pays qu’Haïti, vu les conditions matérielles locales.
Cependant, une participation d’Haïti à la coupe du Monde me paraissait utopique dans un avenir prévisible. Sa réponse : pourquoi Haïti ne pourrait-elle pas participer à la Coupe du monde? Je n’ai pas insisté. À l’époque, le volley-ball était la discipline reine auprès des jeunes du secondaire à Port-au- Prince. Le football, de plus en plus investi par les membres du pouvoir en place, était quelque peu délaissé, sinon carrément snobé. En ce temps-là, on avait par exemple déjà vu un potentat du régime descendre sur le terrain, pistolet au poing, ordonner à l’arbitre de siffler un penalty imaginaire au profit de son équipe favorite qui perdait un match…. C’était un choix très courageux, un pari risqué.
J’ai continué en athlétisme (sauts et course) et parfois, quand je terminais mes entraînements, je le voyais débuter les siens avec le Violette qui utilisait à l’époque le centre sportif du Petit Séminaire Collège Saint Martial, dans le quartier de Sans- Fil. En tournant le dos à l’athlétisme, Philippe nous priva de duels, qui auraient sûrement été épiques, avec Yves Piquion du collège Saint-Louis-de-Gonzague, le meilleur lanceur de javelot de notre génération.
En classe de troisième secondaire, Philippe jouait déjà en première division et devint rapidement un joueur incontournable. Je me rappelle qu’une fois, alors que nous marchions tranquillement dans la rue, un chauffeur de taxi arrêta son véhicule pour lui crier : « Vorbe, il faut revenir vite. Tu n’as pas joué hier et l’équipe a perdu. ». Une blessure à la cheville droite l’avait gardé hors du terrain pendant quelques jours et un de ses voisins me raconta que durant cette période, il s’amusait, étendu sur son lit, à faire rebondir le ballon sur le mur de sa chambre, question de « développer » son pied gauche….
Le tournant décisif survint alors que nous étions en seconde. Il fut appelé en sélection nationale pour participer au championnat de la CONCACAF, au Guatemala. À l’époque, il était le deuxième plus jeune joueur à évoluer à ce niveau. Il rata un mois de cours et son année scolaire. Il avait heureusement un filet de sécurité : son père avait mis sur pied une importante compagnie de construction qui pouvait l’engager.
On s’est perdus de vue quelque temps et j’ai quitté le pays après ma philo. On s’est rencontrés tout à fait par hasard vers la fin de l’été 1968, dans un métro à New York. Il jouait pour les New York Generals, lors des premières tentatives d’implanter le football professionnel aux États- Unis. Il avait changé physiquement. On sentait qu’il faisait du travail en gym en plus des entraînements sur le terrain et qu’il surveillait sûrement mieux son alimentation. Son équipe mit fin à ses activités quelques mois plus tard et il retourna en Haïti au Violette dont il devint, quelque temps après, le capitaine.
Six ans plus tard, c’est sur un écran que je le revis, lors de la coupe du Monde en Allemagne, avec l’équipe nationale d’Haïti. À son premier match, il réalisa une passe lumineuse qui permit à Emmanuel Sanon de marquer le but le plus célèbre de l’histoire du football haïtien. Dino Zoff, le portier italien, cédait après deux ans d’invincibilité (19 matchs officiels) ! Ce 15 juin 1974, Philippe avait atteint les deux objectifs improbables qu’il s’était fixés à l’adolescence.
On s’est retrouvés quelques années plus tard à Montréal. Il accompagnait le Violette Athlétique Club comme entraîneur dans le cadre d’un tournoi (parmi ses joueurs, son jeune frère Charles). Il me dit que son rêve serait de se voir confier la responsabilité de mettre sur pied une sélection des meilleurs joueurs de 10-12 ans du pays. Il estimait qu’il lui faudrait dix ans pour mener une telle équipe à au moins un podium lors d’une coupe du Monde. J’étais persuadé qu’il en était parfaitement capable. J’étais cependant tout aussi persuadé que ce rêve ne se réaliserait pas.
Il s’engagea dans différentes causes pour l’avancement du football haïtien. Il devint un commentateur sportif très écouté, faisant découvrir au grand public les subtilités du football, permettant au plus grand nombre d’apprécier davantage ce sport. J’ai eu le plaisir de le suivre en 2006, alors qu’il était l’analyste invité par la télévision nationale haïtienne lors de la coupe du Monde qui se tenait, une fois de plus, en Allemagne. Il fut brillant dans ses interventions, mais je retiendrai surtout comment il n’a pas hésité une seconde à condamner sévèrement la vedette de la sélection française, Zinédine Zidane, qui à la fin du match décisif contre l’Italie, céda à une provocation et se fit bêtement expulser, déstabilisant son équipe qui finit par perdre. Ce n’était pas une leçon de football. C’était une leçon de vie.
En fait, la carrière de footballeur de ce condisciple de classe est toute une leçon de vie. Bravo Philippe.
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Source/Quotidien le National
Photo/Archives
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